Oui, à écouter le bourdonnement de notre ruche pédagogique, dès que nous nous décourageons, notre passion nous porte d'abord à chercher des coupables.L'Éducation nationale paraît d'ailleurs structurée pour que chacun y puisse commodément désigner le sien :
- La maternelle ne leur a donc pas appris à se tenir ? demande le professeur des écoles devant des bambins agités comme des boules de nipper
Qu'ont-ils fichu en primaire ? peste le professeurde collège en accueillant des sixièmes qu'il estime
illettrés.
- Quelqu'un peut me dire ce qu'ils ont appris jusqu'en troisième ? s'exclame le professeur de lycée
devant la propension de ses secondes à s'exprimer sans vocabulaire.
- Ils viennent vraiment du lycée ? s'interroge le prof de fac en épluchant son premier paquet de
copies.
Expliquez-moi ce qu'on fout à l'université ? tonitrue l'industriel face à ses jeunes recrues.
-L'université forme exactement ce que souhaite votre système, répond la recrue pas si bête : des
esclaves incultes et des clients aveugles !
Les grandes écoles formatent vos contremaîtres - pardon vos " cadres " -, et vos actionnaires font tourner
planche à dividendes.
- Démission de la famille, déplore le ministère de l'Education nationale.
- L'école n'est plus ce qu'elle était, regrette la famille. A quoi s'ajoutent les procès internes à toute insti-
tution qui se respecte. L'étemelle querelle des anciens et des modernes, par exemple :
- Honte aux " pédagogues bêtifiants " ! hurlent les " républicains " pourfendeurs de démagogie.
- À bas les républicains élitistes ! ripostent les pédagogues au nom de l'évolution démocratique.
- Nous restons vigilants ! rétorquent les syndicats.
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Un tel pourcentage d'illettrés en sixième, ça ne se
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voyait pas de mon temps ! déplore la vieille garde.
- De votre temps le collège n'accueillait que des
conseils d'administration en culotte courte, persifle le taquin, c'était le bon temps, n'est-ce pas ?
Tout le portrait de ta mère, ce gosse ! fulmine le père courroucé.
- Si tu avais été un peu plus sévère avec lui il n'en serait pas là ! répond la mère outrée.
-Comment travailler dans une telle atmosphère familiale ? se lamente l'adolescent déprimé aux oreilles
du professeur compréhensif.
Jusqu'au cancre lui-même, qui, après avoir use dune férocité méthodique pour envoyer son profes-
seur soigner à l'hôpital une longue dépression nerveuse, est le premier à vous expliquer benoîtement :
- Monsieur Untel manquait d'autorité.
Et si tout cela ne suffit pas, nous avons toujours la ressource de désigner en nous-mêmes celui qui porte
le chapeau de notre incompétence :
- Je n'y peux rien, je suis comme ça, écrivait a sa maman le cancre que j'étais en demandant qu on
exilât au fin fond de l'Afrique le mister Hyde quim'empêchait d'être un bon docteur Jekyll.